Beate Collet soutient son HDR le samedi 6 décembre 2018 de 9h à 13h

La mixité conjugale dans les sociétés démocratiques.
Normes conjugales et inégalité ethnoculturelle entre les conjoints

le samedi 8 décembre 2018 de 9 h à 13 h
à la Maison de la Recherche, Sorbonne Université. Salle 323 au 3ème étage.

Le jury est composé de
Pierre Demeulenaere, professeur Sorbonne Université (tuteur)
Didier Lapeyronnie, professeur Sorbonne Université (rapporteur interne)
Eleonore Kofman, professeure à la London Middlesex University (rapporteure externe)
Jean-Hugues Déchaux, professeur à l’Université Lyon 2 (rapporteur externe)
Dominique Schnapper, directrice d’études à l’EHESS émérite
Anne-Sophie Lamine, professeure à l’Université de Strasbourg
Patrick Simon, directeur de recherches à l’Institut national des études démographiques

Résumé mémoire principal HDR

LA « MIXITE CONJUGALE » DANS LES SOCIETES DEMOCRATIQUES
Normes conjugales et inégalité ethnoculturelle entre les conjoints

Le sujet des couples internationaux, interethniques, interreligieux ou « mixtes » suscite beaucoup d’intérêt, autant de la part des chercheurs en sciences humaines et sociales que du grand public. Les médias s’emparent régulièrement de ce thème en lien avec les questions migratoires, mais aussi parce que la gestion de la différence culturelle et religieuse dans le quotidien conjugal et familial éveille la curiosité. Pour certains, les couples dits « mixtes » représentent l’avenir de nos sociétés mondialisées, pour d’autres ils menacent les transmissions intergénérationnelles et les valeurs culturelles et religieuses héritées.
Les chercheurs en sciences sociales s’y intéressent depuis le début du 20ème siècle et de multiples études empiriques existent dans de nombreux pays. Retenir le terme générique « couple mixte » permet d’élargir le sujet à toutes les configurations conjugales qui interrogent l’ordre social établi (Merton, 1941) ou qui provoquent « des réactions dans leur environnement social » (Bensimon/Lautman, 1974). Leur mesure statistique n’est pas aisée, certains pays comptent les couples entre nationaux et étrangers, d’autres les appréhendent comme couples entre différents groupes ethniques, alors que les couples inter-religieux sont rarement comptabilisés en tant que tels. Minoritaires dans chaque pays, les couples mixtes sont toutefois une réalité sociale en croissance dans toutes les sociétés multiculturelles et multiconfessionnelles. Dans ce mémoire, on s’intéressera à circonscrire ce qui caractérise les couples mixtes au-delà de leurs configurations culturelles spécifiques et des contextes nationaux et historiques dans lesquels ils vivent. Les nombreuses études produites dans différents pays ont révélé la survivance de normes matrimoniales malgré la liberté de choix conjugal largement affichée dans les sociétés démocratiques. Ainsi, les couples mixtes dévoilent l’ambivalence entre les droits individuels et les normes communautaires. D’un côté, ils sont protégés dans leur principe par la Déclaration internationale des Droits de l’Homme et par les Constitutions des pays démocratiques, mais en même temps ils sont exposés au regard désapprobateur de leurs familles ou de leur entourage et juridiquement réglementés quand il s’agit de mariages entre nationaux et étrangers. Les couples mixtes sont la conséquence des échanges commerciaux et culturels entre différents pays dans le cadre de la mondialisation et au fond depuis l’origine de l’humanité, tout comme ils sont le fruit de la diversité interne des sociétés qu’elle soit religieuse, racialisée, ethnoculturelle ou régionale.
Cependant, le couple mixte, sous toutes ses formes, n’est que la réalité empirique d’un fait social plus générique, qu’on peut appeler « mixité conjugale ». Un fait social certes, mais qui souffre de précisions théoriques. L’objectif du présent mémoire consiste à mettre en commun des connaissances qui existent dans ce domaine afin d’élaborer un outil conceptuel permettant d’analyser ensuite ses formes concrètes à l’aide de ce concept. Les traits saillants de ce fait social ont été identifiés autour de trois principes d’analyse : 1/ la transgression des normes conjugales, 2/ l’inégalité ethnculturelle entre les conjoints qui s’articule aux autres inégalités statutaires, notamment le genre et l’appartenance sociale et enfin 3/ la double face de la mixité conjugale entre les représentations extérieures et normatives et leur expérience vécue. Cette double face est aussi présente à travers l’approche statistique et l’approche qualitative dans ce domaine d’études.
La conceptualisation proposée bénéficie de nombreux acquis antérieurs, mais n’existe pas en tant que telle en dehors de ce mémoire. L’examen critique des nombreuses études consultées (dans différents pays et à différentes périodes) a permis de constater des régularités théoriques, mais aussi des partis pris méthodologiques qui méritaient d’être dévoilés. Ce mémoire a permis de réfléchir aux identifications nationales, religieuses et plus généralement ethnoculturelles, aux rapports entre les sexes ainsi qu’aux statuts sociaux. La mixité conjugale soulève des enjeux sociaux qui dépassent le cadre de la vie privée pour poser des questions du vivre-ensemble dans les sociétés démocratiques.
Ce mémoire présente l’ensemble de ces réflexions dans un plan structuré en deux parties. La première partie s’attachera à circonscrire la « mixité conjugale » en réalisant un état de la recherche selon différentes traditions nationales (I.1), en discutant deux traditions méthodologiques, l’approche démographique et statistique d’une part, et l’approche qualitative ou compréhensive, d’autre part (I.2). Ce n’est que dans le troisième chapitre qu’une conceptualisation renouvelée de la mixité conjugale sera présentée. Elle se définit dans la tension entre valeurs démocratiques et normes matrimoniales encore relativement plus communautaires en insistant, non pas sur les différences, mais sur les inégalités entre les deux conjoints (I.3). Sur cette base, la deuxième partie passera en revue les dimensions susceptibles de caractériser le dépassement normatif de ces couples ainsi que les inégalités entre les deux conjoints. Ce faisant on traitera des représentations et facteurs structurels, mais aussi des arrangements que les couples trouvent pour gérer l’inégalité statutaire qui les caractérise. Trois dimensions de la mixité conjugale ont été distinguées : les inégalités ethnoculturelles dans leur continuum allant du « racial » au national (II.4), les projets migratoires en vue de mariage et les inégalités sexuées (II.5) et l’inégalité juridique entre les conjoints (II.6). On discutera de la pertinence de ces dimensions, de leurs variations à travers le temps et l’espace, et de l’articulation des uns avec les autres en s’appuyant sur des configurations conjugales spécifiques et des études emblématiques. Lors de cette analyse plus empirique, une attention particulière sera accordée aux rapports de genre et aux compensations en fonction du statut social et du parcours de vie des conjoints.
L’étude de la mixité conjugale permet de comprendre l’emprise des normes sociales sur les individus (Durkheim, 1986 [1930]). Elle rend visible les défis de la conjugalité moderne entre liberté du choix, égalité entre conjoints et finalité du projet conjugal et familial dans les sociétés démocratiques modernes marquées par l’individualisation des formes de vie (de Tocqueville, 1992 [1840]). De toute évidence, les pratiques sociales sont en avance sur les normes sociales, car les couples mixtes se sont formés à toutes les époques et continuent à se former dans toutes les sociétés, y compris quand ils sont interdits ou réprimés. Ce sujet illustre donc parfaitement la dynamique sociale entre normes établies et actions émergentes, c’est-à-dire des actions individuelles dans des systèmes d’interdépendances (Boudon, 1979), contribuant au changement social.

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